mercredi 31 août 2011

Docteur Patrick Bauche: "Il y aura d'autres suicides"

Le suicide de l'ancien perchiste Pierre Quinon est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase qui trône dans son cabinet. Psychologue clinicien à Pontoise (Val-d'Oise), le Dr Patrick Bauche a fait du sport de haut niveau une spécialité, dressant un constat sans appel : chaque athlète traverse une période de dépression après sa carrière.

Le suicide de l'ancien perchiste Pierre Quinon est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase qui trône dans son cabinet. Psychologue clinicien à Pontoise (Val-d'Oise), le Dr Patrick Bauche a fait du sport de haut niveau une spécialité, dressant un constat sans appel : chaque athlète traverse une période de dépression après sa carrière. Conscient du travail de prévention qu'il reste à accomplir, il monte de nouveau au créneau contre les pouvoirs publics. Car selon lui, ces drames pourraient être évités. Entretien choc.

L'annonce de la mort de Pierre Quinon vous a-t-elle surpris ?

Non, malheureusement. Le champion olympique qui vend des poulets, même s'il n'y a pas de sous-métier, narcissiquement, c'est blessant. Il a eu sa médaille à 22 ans et à 26, on lui dit qu'il est à la retraite, alors que la vie, elle, commence... Ce n'est pas le premier et s'il n'y a pas une mobilisation des pouvoirs publics et des fédérations, il y en aura d'autres. Peut-être Teddy Riner : aujourd'hui tout va bien pour lui, mais dans dix ans...

Était-ce une fatalité ?

Tout sportif de haut niveau connaît un syndrome dépressif, quelle que soit la raison. C'est inévitable ! Ensuite, tout dépend comment il va y faire face. Pour Pierre Quinon, je ne garantis pas qu'il ne se serait pas suicidé s'il était venu consulter, mais on ne lui a peut-être pas proposé et on lui a donc enlevé une chance. J'ai appris qu'il avait découvert la peinture : ça aurait pu être un moyen de se sublimer autrement, mais apparemment, ça n'a pas suffi.

Un suicide reste un cas extrême. Mais les exemples de dépression ne manquent pas…

Il y en a toujours ! Regardez Marconnet (non sélectionné pour la Coupe du monde de rugby, Ndlr), il était larmoyant. Ça a été le moteur de sa vie, il a travaillé quinze ans pour ça et on lui dit qu'il reste à la maison parce qu'on a trouvé meilleur que lui... Même David Douillet, qui avait décidé l'arrêt de la pratique du judo, a été déprimé pendant six mois : il a dit qu'il était en panne de rêve. Ça résume très bien la chose.

Quel est le mécanisme de cette descente aux enfers ?

Le sportif a vécu des émotions intenses et uniques, que peu de gens vivent. C'est dur de redescendre sur terre. En d'autres termes, l'athlète existe à travers l'acte sportif extraordinaire. Quand il ne peut plus l'accomplir, il n'a plus d'identité. Tout mon travail consiste à faire émerger son identité propre.

À la fin d'une carrière, qu'est-ce qui se passe dans la tête d'un sportif ?

C'est un monde qui s'effondre ! Ça génère des chocs forts. Systématiquement, l'état du sportif est fragilisé. Il se trouve devant un vide béant, perdu et vulnérable. Or, on ne peut pas prendre le risque de laisser quelqu'un sortir d'un dispositif sans s'inquiéter de ce qu'il devient sur le plan psychique.

Les fédérations se sont-elles penchées sur ce problème ?

Non ! Et à chaque fois, je suis sidéré car elles s'étonnent dès qu'il y a un problème. Or, peu de choses ont été faites en matière de prévention. Pour ma thèse, j'avais contacté trente fédérations sportives. Cinq m'avaient répondu. On se heurte à un mur, elles ne veulent rien savoir.

Les sportifs viennent quand même vous voir...

Individuellement, par le biais du bouche à oreille. Car si l'athlète dit qu'il va consulter un psy, l'entraîneur ne va pas du tout apprécier. Il dira : « Toi, tu psychotes !» C'est mal vu.

Que proposez-vous concrètement ?

Il faudrait introduire le psychologue dans le staff technique, au même titre qu'un kiné ou un diététicien... Et que l'athlète puisse aller consulter librement dans des moments difficiles (sur le plan sportif, humain, émotionnel). Il s'agirait d'un accompagnement léger. Prenez un grand champion, il faut voir s'il n'y a pas un déséquilibre (affectif, psychique...) qui pourrait le mettre en danger.

N'est-ce pas déjà le travail des préparateurs mentaux ?

Je ne peux pas soutenir ça. Un préparateur mental n'a pas de cursus universitaire. Je n'ai aucune estime pour eux parce qu'ils ne travaillent que sur une partie de l'être humain. Leur objectif est d'augmenter la performance, en s'attaquant au symptôme : par exemple, faire descendre l'angoisse le jour du match. Mais ils n'ont pas les outils pour comprendre d'où vient l'angoisse. Or, si on en trouve l'origine, elle va chuter.

En consultation, qu'allez-vous chercher justement ?

Je ne vais pas chercher. J'écoute ce que le patient me dit. C'est mon travail en tant que psychanalyste. Ensuite, je relève un aspect ou deux sur la souffrance et on voit à quoi on va la rattacher. Ce qui m'intéresse, c'est l'être humain et son épanouissement en tant qu'homme. Or, les sportifs ont beaucoup de mal à parler. Ils ont des discours violents, masochistes, basés sur la performance. Alors, on leur dit : « Attendez, vous n'êtes pas qu'un coureur...» Je ne reçois pas un champion, je reçois un homme, une femme. Et j'amène des questions, pas seulement des réponses.

Peut-on étendre votre réflexion aux stars ou aux hommes politiques ?

Pas tout à fait. Car chez un athlète, la retraite sonne très tôt. L'autre grande différence, c'est que toute l'identité d'un athlète repose sur son corps. Et tant que ça marche, sur le plan fantasmatique, il est immortel, intouchable, indestructible... Or, ce corps, automatiquement, va vers la déchéance. Et le vieillissement est vécu comme la mort qui s'annonce. L'identité s'écroule.
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