mardi 15 décembre 2015

Bordeaux : Quentin, malaise mortel devant la clinique

Catherine Castagnera tient entre ses doigts une photo, la dernière de son fils Quentin. Puis vite, elle en montre une, deux autres, qu'elle conserve sur son téléphone. Les larmes sont derrière, mais la colère ne s'est pas tarie. Le 16 décembre 2011, Quentin avait 23 ans, lorsqu'il est mort à l'hôpital Haut-Lévêque de Pessac. La veille, des passants l'avaient trouvé, inanimé, près de son vélo, à 50 mètres de la clinique des Pins Francs (1), rue Jude, à Bordeaux. Visiblement victime d'un problème cardiaque, il convulsait, mais respirait…
Deux personnes ont vite alerté les secours par téléphone, tandis que deux autres couraient vers la clinique. À l'accueil, une standardiste appelle la directrice des soins, cette dernière refuse de bouger. « Nous n'avons pas pour mission de nous déplacer pour intervenir sur la voie publique. Les pompiers ont-ils été avertis ? » Il est 17 heures, le Samu tarde à arriver.

Secouru par des passants et des riverains

Deux mères, qui sortaient de l'école maternelle voisine, décident d'entamer un massage cardiaque pour tenir le jeune homme en vie. Elles s'en sortent bien, l'oxygénation est maintenue. Lorsque le Samu arrive, quinze à vingt minutes après, la clinique est à nouveau sollicitée car il manque un produit d'injection, le Cordarone, un stimulant cardiaque. La clinique délivre le médicament, mais personne ne bouge. Il pleut, or pour utiliser le défibrillateur il faut être au sec, dans la rue, les riverains vont chercher des draps pour protéger le corps de Quentin. A la clinique des Pins Francs, six cardiologues sont en consultation, pas un ne sera alerté du drame qui se noue à leurs portes.
A la clinique des Pins Francs, six cardiologues sont en consultation, pas un ne sera alerté du drame qui se noue à leurs portes.
Quentin a été conduit aux urgences cardiologiques de l'hôpital Haut-Lévêque. Malgré les soins prodigués, il meurt le lendemain, une mort subite en rapport avec la cardiopathie congénitale dont il était affecté. Mais pas seulement. Quinze jours après, Catherine Castagnera se rend à la clinique, elle veut remercier l'établissement pour avoir aidé son fils. « Je ne savais rien, se désole-t-elle. Naïvement, je pensais que la clinique était intervenue. Et là, j'ai découvert la vérité. La directrice de l'école maternelle en face était très en colère. Les riverains aussi. J'ai mené une enquête pendant des semaines, frappant aux portes pour savoir exactement comment les choses s'étaient déroulées. J'ai rencontré les témoins, un par un. J'ai mesuré, avec un mètre, la distance entre l'entrée de la clinique et le lieu où avait chuté Quentin. Je ne dormais plus. Et j'ai fini par prendre un avocat. Mon fils aurait-il pu être sauvé ? »
Entre en scène maître Jean-Christophe Coubris, avocat au barreau de Bordeaux, spécialisé en droit au dommage corporel. Le 7 mai, la première plainte de Catherine Castagnera est déposée, pour non-assistance à personne en danger, au préjudice de son fils Quentin, visant la clinique des Pins Francs.

Le rapport de l'expert

Hélas, la plainte est classée sans-suite. Motif : « L'infraction de non-assistance à personne en danger, dénoncée par la mère de la victime, apparaît comme insuffisamment caractérisée. »
Catherine Castagnera ne désarme pas et porte plainte à nouveau, en se constituant partie civile. Cette fois, un expert est nommé par le juge d'instruction. Médecin cardiologue, l'expert auprès des tribunaux, Hélène Benchimol, a délivré son rapport. « Quentin est mort suite à sa cardiopathie congénitale. Il n'a pu être sauvé malgré la forte mobilisation de tous les intervenants, à l'exception de la directrice des soins de la clinique des Pins Francs, qui a refusé de porter secours à la victime. Elle a négligé d'interroger les témoins et a mal apprécié la situation. Les soins rapides auraient peut-être permis de sauver la victime… »
Audience ce mercredi
Mercredi 16 décembre, quatre ans, jour pour jour, après le décès de son fils, Catherine Castagnera assistera à l'audience en correctionnelle, suite à la plainte déposée pour non-assistance à personne en danger. La directrice des soins sera là pour s'expliquer. « Jusque-là, soupire la mère, elle n'a pas baissé la garde. Elle ne veut pas reconnaître ses torts, au contraire, elle dit : on ne peut pas déplacer le matériel. Un défibrillateur ne se déplace pas ? Les parents d'élèves ont peur désormais, si un enfant a un accident en traversant la route devant la clinique, personne n'interviendra ? Je souhaite qu'il y ait une jurisprudence Quentin Castagnera, pour que jamais cela ne se reproduise. Que sa mort ne soit pas inutile, que l'on cesse de s'abriter de façon aveugle derrière des normes administratives, des règlements internes, ceci pour ne pas assumer les responsabilités qui incombent à tout citoyen. »
La direction de la clinique des Pins Francs, que nous avons contactée, n'a pas souhaité répondre.
(1) La clinique des Pins Francs, spécialisée en cardiologie, appartient au groupe Bordeaux-Nord.

http://www.sudouest.fr/2015/12/15/quentin-mort-sur-le-trottoir-2217332-2780.php

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