samedi 26 avril 2014

Un an après l’explosion de Wilson : les habitants du quartier sont toujours traumatisés

REIMS (51). En mémoire des trois victimes tuées dans l’explosion de gaz survenue à Wilson il y a un an, une marche blanche est organisée demain dimanche. Une commémoration nécessaire, aussi, pour les rescapés.
La douleur, insoutenable, l’empêche toujours de dormir. Les cauchemars aussi. Pourtant, Boualem Hannou participera à la marche blanche, demain dimanche, dans le quartier Wilson, en mémoire des trois victimes de l’explosion survenue il y a tout juste un an. Une explosion dans laquelle, lui aussi, aurait pu perdre la vie.   « Deux femmes et un monsieur sont morts. Ils habitaient aux 1er, 2e et 4e étages. Je dormais quand c’est arrivé. Au 3e.  Tous les jours je me demande pourquoi pas moi. »
Vers 11 heures, le 28 avril 2013, M. Hannou a entendu « comme une bombe ». Et puis plus rien. Il a su plus tard qu’il s’en était sorti grâce au courage de jeunes du quartier, qui étaient parvenus à l’extraire des gravats. « Je suis resté une journée dans le coma. Puis j’ai passé une semaine à l’hôpital. » Bilan : 400 jours « minimum » de maladie, annonce le rescapé – relogé, depuis, avenue Bonaparte à Croix-Rouge – qui ne peut vivre sans anti-douleurs, sans séances régulières chez le kinésithérapeute. « J’ai dû me faire opérer du bras. Mais j’ai toujours mal, il est toujours gonflé, le chirurgien ne sait pas pourquoi. Je prends des médicaments matin, midi et soir. J’ai aussi très mal au dos. Et derrière la tête. J’ai eu 21 points de suture. » Des séquelles qui lui rappellent, tous les jours, le drame.   « L’avenir ? Je ne le vois pas. » À 42 ans, M. Hannou, qui a pris 19 kg depuis la catastrophe, n’a plus guère d’espoir. Sa vie professionnelle, dans le bâtiment, est aujourd’hui brisée. Ses journées, inexorablement consacrées à des rendez-vous médicaux. « Toutes les deux semaines, je suis chez mon médecin traitant. Sinon, chez le psychologue. Ou chez le psychiatre. » Car en plus des blessures physiques, M. Hannou doit désormais vivre avec des angoisses incessantes.   « Quand je discute avec les médecins, ça va mieux. Mais après deux jours, je rechute. Je ne sais pas comment faire. Je ne vais pas rester comme ça toute ma vie ! J’ai peur dès que je suis dans un bâtiment, mais aussi quand je passe à côté. Je ne dors pas, malgré les cachets. À 2 heures du matin, quand tout le monde dort, moi je réfléchis. Et je pleure. »

« Une vie bousculée, arrêtée en 2 minutes »

Des larmes, Brigitte Mottay aussi en a versé. Elle, habitait au rez-de-chaussée du 8, allée Beethoven, dont l’extrémité a été soufflée par l’explosion. Ce matin-là, ce matin où sa vie a basculé, elle était dans son canapé, en train de faire du crochet, et avait un œil sur son ordinateur. « Ça va très vite. C’est un gros boum. » Sur le coup, elle ne réalise pas que, comme les vitres et les tableaux, son existence vient de voler en éclats. « Il y a eu beaucoup de poussière. Je suis sortie toute seule, avant l’arrivée des pompiers. Je n’avais rien. Mais je n’avais rien compris non plus. Je n’ai pas, sur le coup, pris conscience de l’importance du sinistre. » Une fois dehors, elle découvre l’ampleur du désastre. Aperçoit autour d’elle de nombreux visages connus du quartier. « Ceux du 4 et du 6 ont réagi plus vite que nous. Au 8, ça nous avait tellement étonnés, qu’on avait tardé à bouger… On était tous groggy à l’intérieur. » Elle a attendu l’arrivée des secours, sans comprendre. Puis a rejoint le gymnase, réquisitionné pour accueillir les sinistrés. Avant d’être recueillie par des amis. « J’y suis retournée avec eux, vers 16 heures, pour voir, et réaliser. Mon appartement était relativement épargné. Disons qu’il y avait un trou dans le plafond, des fissures, mais les murs étaient restés debout. Les canalisations avaient pété. Il y avait un rideau d’eau dans le couloir du rez-de-chaussée. » Quinze jours plus tard, Mme Mottay était relogée, rue Paul-Petit. Mais ce n’est qu’en novembre dernier qu’elle a pu récupérer ses machines de broderie, indispensables pour faire tourner son entreprise. « Ce qui me révolte, c’est qu’il y a eu des vols, malgré les vigiles et le système de protection . On m’a dérobé un ordinateur, deux imprimantes et d’autres objets. Je suis une ancienne antiquaire, grande collectionneuse. Il y avait beaucoup de choses chez moi… »
Brigitte Mottay, frappée par un malaise, n’avait pas pu participer à la première marche blanche, organisée une semaine après le drame. Cette fois, un an plus tard, en mémoire des victimes, avec qui elle entretenait de bons rapports de voisinage, elle sera bien là. Pour elle, aussi.   « En ce moment, je ne suis pas bien. C’est l’anniversaire. Plus le temps passe, plus c’est difficile. C’est une vie qui est bousculée, arrêtée en 2 minutes. J’ai 57 ans. Je n’ai plus rien, plus de photos, plus de souvenirs, plus de passé. » Mme Mottay voit toujours le psychologue et le psychiatre du dispositif. « J’essaie de recommencer mon activité, mais j’ai beaucoup de mal à me concentrer. C’est difficile. »
Difficile aussi, l’après, pour Daniel Léger, que nous avions rencontré en septembre dernier. Domicilié au 18, rue Hector-Berlioz, il a assisté, depuis sa chambre, au désastre. A ressenti, lui aussi le choc, à 11 h 16. Et attend toujours de pouvoir quitter ce lieu, devenu synonyme pour lui de tragédie. « Nous ne sommes plus que quatre locataires, sur dix. J’ai fait plusieurs demandes au Foyer rémois, mais on ne me propose rien. On me dit qu’il n’y a rien. J’ai toujours été un bon locataire, je ne comprends pas ! Ça m’inquiète, je ne peux plus rester ici. » Il pointe du doigt sa fenêtre de cuisine, brisée par la déflagration, et toujours pas remplacée. Simplement couverte d’une planche de bois fine. « Ils en ont enlevé sur l’immeuble détruit. Je pourrais peut-être en récupérer une... » Du coup, l’hiver a été rude chez Daniel Léger. Sa facture d’électricité aussi. Sans parler de son loyer, « qui a augmenté alors que notre immeuble est prêt à être démonté ! Je suis en colère, j’en ai marre ». Et les nuits sans sommeil n’arrangent rien.   « Je fais toujours des cauchemars. Je pense à ceux qui ont perdu la vie. On participera, avec ma copine, à la marche blanche, dimanche. Même si ça ne les fait pas revenir, ça permettra de ne pas les oublier. »
Les oublier... impensable pour Zabida Mecibah qui doit vivre elle aussi avec, sous les yeux, cette scène de désolation dans laquelle sa sœur a perdu la vie. Demain, elle trouvera le courage et sera dans la rue pour lui rendre hommage. «   J’habite juste derrière. On s’était installées ensemble dans le quartier au décès de mon mari. On pouvait se parler d’un balcon à l’autre ! Je l’ai cherchée ce matin-là quand j’ai entendu l’explosion. Je ne l’ai pas trouvée. » D’elle, il ne lui reste qu’une photo d’identité en noir et blanc   ; un cabas rayé récupéré dans les décombres. « Ils vont détruire tout ça, mais on n’oubliera pas nos morts. Cette terre est pleine de leur sang. »

http://www.lunion.presse.fr/region/photos-video-un-an-apres-l-explosion-de-wilson-les-ia3b24n338058

Aucun commentaire: