mercredi 19 mars 2014

Ozar Hatorah, 2 ans après : «Ma fille hurlait : papa ça tire, y a des morts !»

Lundi 19 mars 2012. Les derniers parents pressent leurs enfants vers l’école Ozar Hatorah, à Toulouse. Un homme, casqué, observe quelques secondes depuis son scooter. Cet individu qui a déjà tué trois fois voulait exécuter un nouveau militaire ce matin-là. Il ne l’a pas trouvé. Alors il a roulé jusqu’à la rue Jules-Dalou, à Toulouse. Il s’est arrêté, a sorti une arme et a ouvert le feu.
«J’étais au bureau. Il devait être 8 heures. Mon téléphone sonne. Ma fille, alors en troisième, hurle : Ça tire de partout, y a des morts, faut que tu viennes ! J’ai sauté dans ma voiture et j’ai foncé.»
Pierre-Yves, père de deux élèves alors inscrits à Ozar Hatorah, n’a rien oublié. Ni le cœur qui s’emballe, ni l’angoisse qui compresse, ni les radios qui diffusent encore de la musique alors que lui cherche des informations. «Je téléphonais aux parents, aux amis. On ne comprenait pas même si l’information circulait entre proches… Je suis arrivé, enfin. C’était bloqué. Des pompiers, des policiers partout. Tu ne sais pas et tu trembles. On t’annonce un mort, puis une deuxième, un troisième, un quatrième, un cinquième… Le professeur d’hébreu, ses enfants, la fille du directeur. L’horreur. Mes enfants m’appelaient, en larme et je suis resté bloqué dehors pendant des heures.»
Extrait d’une réunion à Purpan, le docteur Ducassé, patron du Samu, roule aussi vers l’école théâtre d’un carnage. «J’ai eu du mal à me frayer un chemin. Une de mes équipes d’intervention se trouvait dans l’école, d’autres arrivaient. Rapidement, ils ont évacué l’adolescent blessé au thorax. Avec le colonel Moine, des pompiers, on a organisé, on essayait. Les réflexes professionnels font agir. Il y avait ce petit garçon qu’on essayait de réanimer. Malgré son état désespéré, nous l’avons évacué pour pas qu’il ne meure sur place.»
Ces enfants, un commandant de police les a vus en arrivant avec ses collègues. «J’étais au commissariat central quand la fusillade a éclaté. On a pris une voiture avec trois collègues de la sûreté pour aller sur place. Nous ne savions rien, même pas si le tireur se trouvait encore là. Quand j’ai franchi le portail de l’école, j’ai découvert une petite fille blonde entourée par les médecins. Ils essayaient de la sauver. Dans mon métier, j’ai vécu des horreurs : les attentats de Paris en 1995, l’explosion de l’usine AZF en 2001. Là c’était différent. Nous étions dans une école, avec des enfants. Que penser devant une petite fille mourante qui a pris une balle en pleine tête ? Tout le monde avait les yeux mouillés de larmes, personne ne parlait mais il demeurait une grande agitation. Je ne sais même pas si les gens de l’école, les enfants notamment, savaient que le tueur s’était enfui.»
«Tu es dehors et tu réalises peu à peu. Tu es devant une école où se trouvent tes enfants. Tu es rassurée parce qu’ils sont vivants et horrifiés par la violence de l’acte, par son antisémitisme, par sa signification. Comment l’interpréter ? Comment l’accepter ?», interroge Pierre-Yves le parent d’élèves.
«J’ai encore devant mes yeux Mme Sandler devant le corps de son mari et de son fils avec une incroyable dignité. Il faut prier, disait-elle», confie le patron du SAMU. «Passé l’émotion, il faut redevenir flic. Nous ne sommes jamais préparés à de telles situations pourtant tu dois affronter, retrouver les bons réflexes, éviter la pagaille de l’émotion», glisse le commandant de police.
«Au bout d’un moment, avec le procureur Valet, nous avons décidé d’aller à la rencontre de tous les élèves, réunis dans le réfectoire. Il fallait parler, improviser un début de cellule psychologique», confie le docteur Ducassé. «Mais comment expliquer ? Que dire ? Comment justifier les actes d’un homme qui vient et tue des enfants ?»
«Tuer des enfants, faut pas», déclare justement un homme devant la télévision d’un café du quartier des Izards. Nous sommes le lundi 19 mars 2012 en fin de matinée. Comme beaucoup d’autres, il regarde les chaînes d’information et s’indigne. Il s’appelle Mohammed Merah. Il a 23 ans. C’est lui l’auteur des assassinats. 36 heures plus tard, le Raid tente de l’interpeller dans son appartement de la rue du Sergent-Vigné. C’est le début du siège. Mohammed Merah, le tueur au scooter, sera finalement tué le 22 mars lors de l’assaut des policiers du Raid. Entre le 11 et le 19 mars, à Toulouse et Montauban, il a assassiné trois militaires, exécuté trois enfants et un père de famille ; et grièvement blessé un adolescent et un autre parachutiste.

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