samedi 12 novembre 2011

Sedan : le barbe-bleue des Ardennes

La résidence Sainte-Claire, sur les hauteurs de Sedan, est un endroit tranquille et cossu. Jardins verdoyants, immeubles proprets. Dans le bâtiment D, au 2e étage, on remarque à peine le Scotch rouge "scellé judiciaire" sur la porte de l'appartement de Robert Etienne et Brigitte Oudry. Une enseigne indique : "Bienvenue chez nous". Le couloir est cosy : deux fauteuils. Un buffet. Un meuble à chaussures. Des parapluies. Une canne. Une petite commode avec des bibelots, grenouilles, chats en porcelaine et des cartes de voeux. C'est là que le lundi 26 septembre 2011, Robert Etienne, 66 ans, a mortellement lardé sa compagne Brigitte Oudry de 66 coups de couteau. Puis, les mains ensanglantées, il est descendu chez son voisin du premier, Daniel, qui a cru rêver. Neuf ans auparavant, une scène identique s'était produite sur son palier. "Il avait le même air abattu. Il a dit :"J'ai tué ma femme. J'ai appelé les policiers." La première fois, la victime s'appelait Marie Odile. Il l'avait épousée quatre mois plus tôt. Elle est morte lacérée de 73 coups de couteau. Robert Etienne est sorti de prison en 2009 après six ans de détention. Retraité, il est revenu résidence Sainte-Claire. Il avait refait sa vie avec Brigitte. "Quand on m'a dit qu'il y avait eu un homicide à Sainte-Claire, j'ai eu l'impression de revivre l'affaire de 2002. D'habitude, on n'a jamais d'appels venant de là, jamais de tapage nocturne ou de nuisance" , dit le commissaire. Robert Etienne s'est laissé emmener, docile. "Me dites pas que c'est vous, monsieur Etienne... - Si, monsieur le commissaire, c'est moi." Le dialogue fut bref.
Un "nounours" un peu "mou"
"Il était si gentil", disent ceux qui l'ont côtoyé. Il faut se méfier des gens gentils. Rien ne destinait le respectable M. Etienne à devenir le Barbe-Bleue des Ardennes. Ici, à Sedan, tout le monde le connaissait. Sa première femme Evelyne, avec qui il avait été marié trente-deux ans, tenait la droguerie la Palette d'Or, rue du Mesnil, dans le centre-ville aux rues pavées. Lui avait été directeur dans une usine du coin. Un couple solide, une fille unique, commerçante. L'homme était réservé, pas très causant. Un peu comme son père, effacé devant une mère omnipotente. Chez les Etienne, c'est Evelyne qui "menait la baraque", note un copain du couple. Robert, c'était le "nounours" un peu "mou", qu'on avait parfois "envie de secouer". Evelyne tombe malade. Un cancer long, généralisé. Elle décède en août 2000. Robert Etienne supporte mal son deuil. Il se rend au cimetière tous les jours pour se recueillir sur sa tombe. Les experts psychologiques évoquent un "deuil pathologique". Il se rapproche d'une amie, Marie-Odile, sa cadette de dix ans. "Une association de détresse. Ces deux-là étaient très fragiles", se souvient Claude Février, un ami de la victime. C'est une quadra, gaie, jolie, fofolle. Et maniaco-dépressive. Ils font une tentative de suicide en commun en janvier 2001. Leur convalescence à l'hôpital les lie dans un pacte d'amour étrange. Ils se marient en juillet 2002. Marie-Odile répète à ses amis à quel point son nouvel époux est "gentil", comment il la "couvre de cadeaux", la "fait fondre".
Marie-Odile, la "femme dangereuse"
Mais Robert Etienne est jaloux. Sa femme, dépensière, aime sortir. Elle le traîne au Château d'Aphrodite, une boîte échangiste. "Elle me bourrait de Viagra, je n'arrivais plus à suivre. Elle était fougueuse, avait beaucoup de besoins. J'aurais préféré qu'on ait une sexualité plus normale, moins fréquente", confessera-t-il aux policiers, qui ont retrouvé des godemichés dans l'appartement. Ils se disputent, souvent. Ils sont si différents. "Monsieur Etienne présente les traits habituels d'une personnalité obsessionnelle, à savoir l'entêtement, le respect peut-être excessif de l'autorité, le goût de l'ordre et de l'économie" , décrit le rapport psychiatrique. L'économie, la bonne gestion... C'est tout le monde de Robert Etienne. Les découverts permanents de Marie-Odile le rendent fou. Il se sent atteint dans sa virilité. Il l'aime, mais la voit comme une "femme dangereuse". Un jour, il tente de l'étrangler dans son sommeil. Marie-Odile veut déménager, s'installer dans une maisonnette, près d'un étang, pour voir des canards. Robert Etienne ne veut pas quitter la confortable résidence Sainte-Claire, mais il cède. Redevient le gentil nounours. Le jour du crime, l'époux attentionné a préparé un bain de pieds pour son aimée. Il a mis un poulet dans le micro-ondes pour le déjeuner. Et puis ils se sont disputés. Il s'énerve sur le déménagement. Marie-Odile veut partir en vacances. Encore des dépenses. Il monte d'un cran. Elle l'insulte, lui dit qu'il est "Vieille France", un "mauvais coup". Là, il pète les plombs. Sort un couteau de cuisine. Puis un Laguiole. "Mon client n'a pas supporté que sa compagne ne soit pas à l'image de sa première épouse", plaidera son avocat au procès. Les jurés estiment que le prévenu ne "présente pas de risque de récidive et ne constitue pas un danger pour la société". Ils le condamnent à douze ans de réclusion. Quand en 2009, Robert Etienne est libéré, il refait sa vie à Sedan. "Il est revenu faire le tour des commerçants, dire bonjour, de façon très naturelle", dit une Sedannaise. Il devient volontaire dans la Communauté Emmaüs, chargé de la bibliothèque. C'est là qu'il rencontre Brigitte Oudry, la factrice, une femme aimable et souriante, plutôt ronde, pas coquette pour un sou. Rien à voir avec l'exubérante Marie-Odile. Brigitte Oudry sort d'un deuil. Entre eux, tout va aller très vite. Ils se mettent en ménage au début de l'année 2011.

Angoisse de la castration
L'union apparaît plutôt paisible. "Avec sa précédente femme, on entendait de temps en temps des éclats de voix. Là, rien. Ils étaient très discrets", note le voisinage. Le couple fait le marché, main dans la main. Brigitte, elle aussi, trouve Robert "si gentil". "Elle me racontait qu'elle n'avait jamais été aussi heureuse", se souvient Suzanne Furlani, une amie. "Elle connaissait son passé. Mais pour elle, c'était un accident."
Comment expliquer qu'il se soit ainsi acharné sur Brigitte, en particulier sur la poitrine et le bas-ventre ? Le docteur Delcourt, expert psychiatre, s'interroge : "Il avait un rapport compliqué aux femmes. Une angoisse de la castration, liée certainement à sa mère. Il les idéalisait et en même temps, dès qu'elles échappaient à son autorité, elles lui semblaient dangereuses. Par deux fois, il s'est raccroché très vite à une figure de femme consolatrice." Le cliché de la scène du crime semble étrangement similaire au premier. Que s'est-il passé exactement ? Lors de son audition devant le juge des libertés, Robert Etienne a été succinct. "La querelle a commencé la veille au soir, précise son avocat Francis Pierroux. Le matin, mon client a été réveillé par sa compagne, et la dispute a continué." Pour des broutilles. Les deux chats adorés de Brigitte, qui "l'empêchaient de dormir", et qui grimpaient sur le lit conjugal. Un projet de vacances qu'il jugeait onéreux. Brigitte aurait laissé échapper qu'elle "s'emmerdait" avec lui. C'était peut-être le mot de trop. Robert Etienne ne supportait pas qu'on "s'emmerde" avec lui. Il a attrapé un couteau de cuisine. Et il s'est acharné.

Article paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 10 novembre 2011

http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20111109.OBS4199/sedan-le-barbe-bleue-des-ardennes.html

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