Le cancer du sein, Ferida Manguin le guettait, savait qu’il viendrait peut-être… « Je suis issue d’une famille à antécédents, ma grand-mère, ma mère, ma sœur en sont décédées », avoue cette Montbéliardaise aujourd’hui âgée de 53 ans qui est suivie régulièrement depuis 1997. « Mes mammographies étaient toujours bonnes », jusqu’au 16 septembre 2010.
Ferida s’en souvient comme si c’était hier : à Besançon, elle consulte alors un médecin sénologue, spécialisé dans l’étude du sein et le traitement des maladies. « On avait vu quelque chose à la mammographie et ce médecin me reçoit en cabinet pour faire une échographie. La doctoresse me dit alors qu’il s’agit d’un petit kyste liquide de 4,5 mm. » Ferida Manguin demande s’il peut être analysé « mais le médecin refuse et me dit de partir tranquille, que je dois lui faire confiance. Je suis rentrée chez moi sereine ».
Sa sœur étant décédée pour les mêmes raisons en 2009, Ferida ne va cependant pas bien et souffre d’une dépression. Envoyée en maison de repos en janvier 2011, elle tombe à la télévision sur une émission abordant le sujet et le dépistage. « J’étais en position semi-allongée sur un lit et j’ai subitement découvert qu’un de mes seins était surmonté d’une boule. » C’est la panique : une radiographie confirme la présence de cinq nodules autour du kyste, « que le médecin n’avait visiblement pas vus. J’aurais dû avoir cette biopsie du sein. En quatre mois, la boule faisait 5,5 cm de diamètre. Si la doctoresse avait bien lu la mammographie, le cancer aurait pu être pris en charge beaucoup plus vite ».
Le jour de l’anniversaire de Ferida, les résultats de la biopsie tombent : cancer à un stade avancé. « J’étais tellement en colère, moi qui me faisais suivre régulièrement. On m’a alors dirigée vers les Hôpitaux civils de Colmar, auprès d’un professeur qui m’annonce qu’il faut m’enlever le sein en urgence. » Ferida, qui a deux enfants déjà grands, garde en tête tout ce qu’elle a vécu dans sa famille et décide d’appeler à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, premier centre de lutte contre le cancer en Europe. « J’ai expliqué ma situation et dès le lendemain, un professeur me recevait. En regardant les dernières mammographies, il a lâché qu’il ne pouvait pas croire à une erreur aussi grossière », assure Ferida Manguin. Plutôt que l’ablation directe, il propose à la patiente une chimiothérapie adjuvante avant une possible opération et la dirige vers les Hôpitaux militaires de Saint-Mandé. « Le médecin que j’ai vu m’a demandé d’y croire encore… »
Toutes les semaines, la Montbéliardaise se rend donc à Paris, puisque c’est là qu’elle trouve du soutien. « Ma fille a fini par quitter l’école pour s’occuper de moi », lâche, émue, cette maman toute menue, élégante, au regard encore déterminé, qui se souvient combien « la chimio, c’est comme si on vous appuyait contre un mur et on vous tirait des balles. Ça attaque les os, j’en ai encore mal toutes les nuits ».
Comme tous les malades en traitement, le visage de Ferida s’émacie, change, elle perd beaucoup de poids. Finalement, le cancer diminue de moitié mais il est toujours là. Les médecins ont tenté de le réduire mais il est finalement plus judicieux de procéder à une ablation du sein. « J’ai vraiment trinqué, je croyais que j’allais mourir. »
Léa, sa fille, a pris l‘habitude de la suivre partout. Comme son ange gardien. À 20 ans et quelques poussières, elle se souvient de cette nuit aux urgences du Centre hospitalier de Montbéliard, « quand le médecin est venu me voir pour me demander si quelqu’un pourrait s’occuper de moi. Maman n’était pas bien du tout ce soir-là… »
À l’été 2011, Ferida Manguin accepte d’être opérée. « C’était la décision la moins risquée car les ganglions avaient été touchés. Fin août, j’ai donc subi une mastectomie et on a repris la chimiothérapie. »
La patiente ne lâche pas son combat parallèle contre la doctoresse qui, estime-t-elle, a commis une erreur de diagnostic. « On m’avait pourtant conseillé de ne pas attaquer avant que je me sois soignée. Mais il fallait que je fasse les deux en même temps, c’était mon combat. »
Ferida travaillait au conseil général du Doubs avant sa maladie. Elle a été en arrêt pendant trois ans, a perçu ensuite une allocation adulte handicapé. « Le médecin-conseil de la CPAM m’a mise en invalidité afin que je termine mes soins. Et il y a un an, mon employeur m’a proposé un licenciement. Mes revenus ont baissé, la vie n’est pas simple aujourd’hui, elle a changé malgré moi. »
Persuadée que la prise en charge aurait pu être tout autre si le cancer avait été détecté plus tôt, Ferida Manguin a donc demandé audience auprès du conseil de l’Ordre des médecins du Doubs : « Je me suis retrouvée face à cette dame et l’avocat de son assurance. Les médecins ont entendu ma plainte, les arguments de leur consœur et une conciliation a été proposée ». Conciliation inaboutie.
À trois reprises, la patiente est reçue par le conseil de l’Ordre, neuf professionnels qui entendent les deux parties. « J’ai même fini par apporter les cheveux que j’avais perdus pendant la chimio », indique Ferida Manguin qui s’entend dire que la doctoresse avait classé son kyste de type ACR2 « alors qu’il aurait dû être ACR5 voire ACR6, le maximum ». American college of radiology, dit le dictionnaire médical pour ACR, la classification 6 étant utilisée pour un « cancer prouvé histologiquement ». À Besançon, tout a été posé sur la table. Et pourtant, « le président du conseil de l’Ordre, à l’issue des entretiens, me dit que sa consœur n’a fait aucune erreur. J’ai décidé de maintenir ma plainte. Un procès verbal de non-conciliation a été établi ».
La patiente décide de saisir, après de multiples péripéties administratives, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins en appel. « À chaque courrier négatif, j’étais enragée et je continuais. À Paris, la doctoresse ne pouvait pas trouver de soutien local. Et à chaque fois, je me suis présentée moi-même, bien que j’étais épuisée. »
En avril 2014, la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins déclare le médecin bisontin « fautif ». Elle reçoit même un avertissement. « Elle a fait appel au Conseil d’État, un appel qui a été rejeté le 5 février 2015 », précise son ex-patiente qui assure n’avoir attendu « qu’une chose », répétée inlassablement durant son combat administratif : « Qu’elle reconnaisse son erreur, qu’elle s’excuse. Elle a allégué que je n’avais pas apporté de mammographie précédente lors de ma première visite. Au conseil de l’Ordre du Doubs, lorsque les médecins lui ont parlé de la biopsie que j’avais demandée, elle a répondu que “si je lui avais fait, je lui aurais fait mal”. Du mal, j’en ai eu bien plus que cela… Si je l’avais écoutée, je ne serais plus là aujourd’hui ».
Ferida Manguin est désormais considérée comme « en rémission » mais elle est toujours traitée par hormonothérapie. Pendant cinq ans, elle a eu « chaque jour quelque chose, des rendez-vous, des prises de sang, et un de mes bras a toujours du mal à se mouvoir à cause de la maladie ».
Soutenue par l’association d’aide aux victimes (Avadem) située à Belfort, elle entre « dans la phase de réparation. Il y a eu préjudice », atteste Farida Brouk, directrice de l’Avadem et juriste. « Elle a subi l’ablation d’un sein, un licenciement, mais pour le moment, nous attendons le retour de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux qui a jugé qu’il s’agissait d’une erreur d’interprétation à l’origine d’un retard de diagnostic » (CRCI).
Alors qu’elle a mené la procédure seule, juste accompagnée de sa fille, qui a entamé aujourd’hui une capacité en droit, Ferida Manguin a pris, cette fois, un avocat. L’assureur du médecin visé avait jusqu’à ce mois-ci pour faire une offre d’indemnisation. Mais Ferida continue de se poser une question : « Est-ce que je suis la seule ? ».
http://www.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard/2015/06/07/franche-comte-le-combat-d-une-montbeliardaise-contre-le-medecin-qui-n-a-pas-detecte-le-cancer-du-sein-qui-a-degenere-en-quelques-mois
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